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Coumarine, Petites paroles inutiles
19 octobre 2009

Je suis morte (suite de hier)

floralfAujourd’hui  madame, je suis morte.
Non non ! Pas morte et enterrée dans un cercueil et tout ça..
Morte, c’est encore pire…

Z'ont pas d’yeux madame, z'ont pas d’oreilles, z'ont pas d'cœur.
Aujourd’hui madame, je suis morte, une fois de plus.
Je suis morte comme hier et avant-hier et tous les jours de la semaine dernière.
Depuis six mois que je suis ici madame, je suis morte tous les jours.
Je suis assise sur la mort. Elle me brûle les fesses, même quand il fait froid.
Quand personne ne vous regarde, madame, on n’existe pas.

Savez pas ce que c’est vous. Avec votre jolie tête bien coiffée et vos p’tites boucles d’oreilles, savez pas ce que c’est.
Moi je suis là, avec ma tête de rom et le bébé dans les bras et je tends la main.
Et tu sais quoi madame, je vois rien que des jambes, des jambes qui s’arrêtent jamais devant moi. Ça défile. Un carrousel de jambes pressées.
J’ose pas trop lever la tête, avec mon fichu et mon châle. Mais je tends la main madame. On ne peut pas ne pas la voir, ma main qui supplie. Comme ça, madame et je dis : j’ai faim,  une petite pièce SVP madame, SVP monsieur.
Je me dis c’est pas possible, quelque chose va frémir en eux, une lueur, une petite étincelle, un petit rien qui va me sortir du brouillard, de l'invisible.
Ben non. Rien.
Ou plutôt c’est pire que rien.
La haine. Le mépris. Le rejet.
Je les dérange moi madame. Je leur rappelle  tout ce qui en eux est moche, sale, misérable, faible, souillé, tout ce qui fait peur aussi… On regarde pas ce qui dérange. Hop on passe sans me regarder.
Alors je meurs madame…

Lui il m’a dit ce matin : aujourd’hui tu me ramènes quarante euros. Pas un de moins. Sinon…
Et je vais faire comment j’ai dit? Tu te démerdes il a dit. Et il m’a déposée dans le passage en plein courant d’air.
Je connais la chanson, j’aurai pas les quarante euros. Je les ai jamais! Alors ce sera les coups et les autres mecs qui me passeront dessus. Je le sais. Je résiste même plus. D’ailleurs je suis pas là, puisque je suis morte.
Faut que je ramène du fric et pas des sandwiches ou des biscuits ou des trucs à manger comme on m’en donne parfois. Ça arrive une fois pas semaine. Je veux pas des sandwiches, madame. Je veux de l’argent, du fric, de la thune. C’est ça ou les coups…

Les gens étaient pressés aujourd’hui madame. Tous à regarder ailleurs comme d’habitude. Moi assise par terre, eux les yeux perdus au dessus de moi, vers leur vie propre et bien rangée.
Si j’osais, je me lèverais. Je marcherais vers eux. La main devant moi. Debout. A égalité. Je les arrêterais, je les forcerais à me donner quelque chose. Mais avec le môme qu’ils m’ont fourré dans les bras et que c’est même pas le mien et que je dois le droguer pour pas qu’il pleure, pour pas qu’il coure partout… c’est pas possible
Un enfant, un petit enfant qui dort, ça doit faire pitié quand même ? Ben non. Z’en ont rien à foutre. Ils regardent pas.

Parfois j’en vois une qu’a l’air gentille, je vois qu’elle me regarde, je tends la main : s’il vous plait madame, une petite pièce, il a faim. S’il vous plait…
Et ben tu sais quoi madame ? La dame elle détourne la tête. Elle a l’air dégoûtée, elle dit dans ses dents : z’êtes la dixième aujourd’hui !
Cette après-midi,  il y avait même un mec qui faisait signer une pétition pour que je rentre chez moi : on veut pas de toi ici. Tu pollues il disait. Tu entends? TU POLLUES...
C’est pas vrai madame, je sens pas mauvais.
Je sens pas mauvais.
Mais après tout, peut-être, peut-être que je sens quand même un peu mauvais…
Puisque je suis morte depuis six mois…

Nicole Versailles

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Commentaires
C
merci Edmée...<br /> et bienvenue!
E
Bravo pour faire réfléchir et aider à voir l'humanité cachée dans ce tas de châles et jupes de couleurs. Je regarde et re-regarde sans me lasser le film Le temps des gitans, que j'ai adoré dès la première vision. <br /> <br /> On pleure sur le sort des Indiens d'Amériques que l'on a parqués et rendus alcooliques, et puis on ne fait rien pour "nos" nomades. On regarde ailleurs. On trouve qu'ils sont sales et qu'ils puent. Qu'ils volent. <br /> <br /> On pleure sur les animaux dont on vole l'habitat, et on chasse les tsiganes de partout, comme des rats... <br /> <br /> Bravo pour ces lignes si fortes, et oui, si seulement ils pouvaient se lever et ... et quoi? Etre libres?
C
merci encore à tous ceux qui sont venus mettre un commentaire<br /> Je vous ai lus, avec énormément d'attention<br /> Mais je n'ai plus le courage ce soir de vous répondre personnellement<br /> Pardonnez moi!
F
Suite au commentaire d'Alainx : l'ONGD de Jean Kabuta agit dans ce sens : "Levez-vous, Congolais, et prenez votre vie en mains, au lieu d'attendre que tout se règle pour vous ! La confiance se trouve en vous et la dignité aussi. Vous avez tout ce qu'il vous faut pour faire prospérer non seulement vous mais votre famille, puis le village, etc.". MERCI à Alainx d'avoir souligné ce passage de la bible (tout mécréant qu'il est et toute bouddhiste que je suis ;-)
R
je reviens parc'qu'hier j'étais un peu pétard alors,,, <br /> alors je m'emporte, mais c'est bien vrai tilleul, on est toujours mendiant de qq chose et Charlotte tu as raison je les vois aussi ceux-là et leur initiative me plait bien
Coumarine, Petites paroles inutiles
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