Tu ne jugeras point (Armel Job)
Je fais finalement rarement des critiques des livres que je lis
(là maintenant, je viens d'achever la lecture de "Nous sommes éternels" de Pierrette Fleutiaux, gros bouquin de 900 pages environ qui date d'il y a vingt ans, un peu long par moment forcément 900 pages!! mais passionnant de bout en bout. Et quelle écriture, mamma mia...quelle écriture...aussi belle et insolite par moments que dans "Les amants imparfaits", livre qui m'avait fait connaître cette auteure...bref)
Aujourd'hui cependant, je voudrais dire un mot de "Tu ne jugeras point" d'Armel Job
Quand, au début d'aout, j'ai reçu le livre des mains d'Armel, je lui ai dit pour le taquiner...voyons un peu la dernière page... oups, vous auriez dû le voir réagir: NONNNNNNNNNNN surtout passssssssss ;-))
Vous aurez donc compris que, selon son habitude, tout se joue dans les dernières pages, dans le dénouement final inattendu, c'est le moins qu'on puisse dire...
Autrement dit: Armel est le spécialiste des coups de théâtre, un auteur qui mène son lecteur dans une action qui rebondit sans cesse, où chaque page ou quasi réserve une nouvelle surprise... il nous tient en haleine, nous oblige à entamer le chapitre suivant qui bien entendu, nous emmène là où on ne pensait pas aller.
Avec ça et là, des pointes d'humour, dans un sujet pourtant grave: l'enlèvement d'un enfant
Sujet grave, donc et pourtant faut-il le dire, comme toujours, beaucoup d'humanité pour chacun des personnages, qui ne sont pas seulement des personnages dont on s'interroge sur la culpabilité ou non, mais auxquels on s'attache parce que chacun d'eux vit sa part de mystère et de poids d'humanité parfois de manière bien secrète. Et bien douloureuse. L'auteur nous apprend sur chacun d'eux quelque chose qui nous touche, et provoque l'empathie qui nous donne envie de les accompagner tout le temps de la lecture du livre
C'est d'ailleurs un thème récurrent chez Armel Job: personne n'est ni tout blanc, ni tout noir, aucun manichéisme, la victime est peut-être le ou la coupable, le ou la coupable est peut-être la victime. Et ceci est vrai pour chacun des personnages...
Cela nous rejoint finalement, qui sommes-nous tout au fond de nous? Serions-nous capables du pire? Ou du meilleur? Qui est vraiment celui qui partage notre vie et que nous croyons si bien connaître?
En exergue du livre, A.J. choisit de mettre une phrase de Saint Augustin très significative à ce sujet:
"Que dire des poursuites judiciaires -inévitables dans les États les plus tranquilles- que les hommes engagent contre leurs semblables? Qu'en penser, sinon qu'elles sont bien misérables, bien pitoyables? Et cela pour la simple raison que les juges ne sauraient avoir accès à la conscience de ceux qu'ils poursuivent.
(Saint Augustin, la cité de Dieu, XIX, 6)
Quant à l'écriture, elle est magnifique, chaque phrase coule vers la suivante... dans une simplicité dont chaque détail touche par son réalisme et/ou son humanité
"Denise avait fait mine de s'essuyer les mains, mais Conrad lui avait dit de continuer. Que font les gens dont on a volé l'enfant en dehors des quelques minutes où on les voit à la télévision supplier les ravisseurs d'avoir pitié d'eux? Un jour, deux jours, ils peuvent pleurer. Ils n'ont plus la force de parler ni même de se lever le matin. Mais après, que faire? Il faut bien continuer à vivre, s'asseoir à table, étendre le journal, se saisir du petit couteau à éplucher."
Autre petit passage:
Dans le café, il n'a trouvé qu'une poignée de consommateurs, les yeux rivés à la télévision murale où ahanaient deux joueuses de tennis. Angela l'a fait asseoir côté jeux de cartes: les ahans, sans l'image ont pris une inflexion vaguement obscène. Au milieu de sa poitrine, un lacet s'efforçait de réunir les deux pans de son décolleté, au risque d'arracher les oeillets des boutonnières"
Je me suis dit en lisant les dernières pages de ce roman qu'il y aurait moyen d'écrire un nouveau roman suite au dénouement de cette histoire... la fin est surprenante et suscite (chez moi en tout cas) quelques questions sans réponses. Mais chuuuuut, je n'en dirai pas plus!
Je ne sais pas par contre si j'aurais donné ce titre au livre, qui sonne "précepte moral". Je n'aime pas trop non plus la couverture qui pourrait rebuter, provoquer un recul: l'affaire Dutroux est encore dans toutes les mémoires... moi en tous cas, en voyant la couverture du livre, j'ai eu comme un mouvement intérieur de recul... l'enlèvement d'un enfant éveille des peurs primales chez une mère...
Heureusement Armel J. ne joue pas de cette corde là... de celle qui résonne en grand sur les titres des journaux people. Son livre est palpitant, pas racoleur, ni glauque.
J'aurai l'occasion d'interviewer bientôt Armel Job sur tous ces sujets...le titre...la couverture (est-ce le choix de l'éditeur? Je sais pour être passé par là, que l'auteur a peu de pouvoir là dessus!)
Quand au dernier chapitre, si inattendu et si plausible en même temps, il me laisse avec des questions plein ma besace... (ce fut déjà le cas pour Les Mystères de Sainte Freya...décidément...). Je les lui poserai également. Mais comme il y aura dans le public des gens qui n'auront pas encore lu le livre...je garderai ces questions pour moi...tant pis!
Voir ici l'avis sur ce livre chez Cunéipage
Ici vous lirez une critique de ce livre "Les mystères de Sainte Freya"
Voir ici une très fine analyse de "Héléna Vanek" faite par Valclair
A savoir "Les fausses innocences" feront très bientôt l'objet d'un film: je crois que de ces trois livres, c'est celui que j'ai préféré...
Edit 20h50
Intéressant commentaire de Armel Job lui-même (averti par mail de ce billet...merci Armel)
Si intéressant d'ailleurs que j'en ferai l'objet de mon prochain billet...