Sept minutes pour dire bonjour
Il est là, face à elle et un sourire impatient s’accroche à son visage.
Elle est là, face à lui. On ne voit que son dos et les dos ne sourient pas. Ni ne se parlent.
Une petite table les sépare, une jolie petite table ronde dont on a vite fait le tour. Sur la table, il n’ y a rien…enfin pas grand-chose : un coca ou une bière et la curiosité de découvrir un visage inconnu. Idées, rêves ou frissons ne sont pas encore au rendez-vous.
L’endroit se cache dans un café sympa du centre de la ville. Contre le mur, sept petites tables s’alignent sagement. Sept petites tables toutes pareilles, dont on doit impérativement faire le tour en sept minutes chrono pas une de plus, et sur lesquelles sept couples aléatoires déposeront leurs attentes, leurs bégaiements, leur désir d’accrocher l’autre à tout prix s’il le faut, leur impatience et quelques questions passe partout. Pas d’intérêt véritable pour celui ou celle qui fait face, juste le désir de ne pas quitter la table sans trouver le soir même une bonne chaussure à son pied, une compagne douce et ardente dans son lit, ou une épaule de prince charmant contre laquelle déposer sa solitude… Quête difficile, et pourtant tous font semblant d’y croire.
A chaque table, un couple s’observe et se questionne avec un brin de méfiance ou d’empressement.. l’empressement dû aux minutes qui filent comme des sottes, en vraies têtes de linotte qu’elles sont de ne pas se rendre compte que se joue là sur ces petites tables rondes, une opération d'espoir désespéré.
Sept minutes, c’est évidemment bien trop long quant celui d’en face n’a qu’un gros nez à montrer au-delà duquel on ne verra pointer aucune idée intéressante, aucune parole intelligente.
Sept minutes, c’est trop long aussi quand tout, dans le comportement de celle d’en face, trahit sa quête obsessionnelle d’un alter ego qu’elle est prête à aimer à la folie. Qui donc aurait envie de devenir la moitié de cette femme qui ne cache pas sa faim de mante religieuse ?
Sept minutes, par contre, c’est bien trop court quand celui que l’on découvre, a dans les yeux qui vous dévisagent, un petit je ne sais quoi qui illumine un bref instant la petite table ronde sur laquelle on déposerait bien un autre café, une deuxième bière, quelques biscuits, quelques pensées qui se mettraient à tourner rond dans le plaisir précieux de passer un bon moment ensemble.
Sept minutes, c’est bien trop court aussi quand celle qui vous fait face a des mains de reine dont on se prend à rêver un bref instant qu’elles seraient bien caressantes sur un corps qui depuis si longtemps se voit obligé de se donner à lui-même les câlins qui font vivre, ou simplement survivre…
Le chronomètre impitoyable vient de sonner le glas du premier face à face. Branle bas de combat. Petits regards en coin qui s’efforcent de graver une dernière impression à noter au vol sur un feuillet d’évaluation. Sans ces petites notes discrètes, on risque de confondre Pierre avec Jean, Aline avec Solange, la photographe avec la caissière, l’ingénieur avec le chauffeur de taxi, le barbu avec le mal rasé, la blonde avec la rousse… Bruit de chaises qu’on bouscule, murmures frustrés qui tournent dans le sens des aiguilles de la montre impatiente, nouveau face à face, nouvel essai.
L’espoir se compte en minutes, se précise ou se fatigue à chaque gong imperturbable. Ou alors il s’évade dans de nouvelles chimères.
Et ainsi de suite…
D’autres couples se forment que le hasard a désignés et installent leur cœur battant dans sept nouvelles minutes réglementaires.
Des poitrines soupirent, des mains tambourinent d'impatience, des yeux s’allument d’espoir, des pieds battent une mesure nerveuse… Mais en dessous de la table, cela ne se voit pas…
Ce soir, là au fond de la pièce, à la table numéro 6, le miracle a eu lieu : un homme et une femme se sont trouvés… enfin ! Ils s’attendaient de toute éternité ! Et cela devenait long, faut bien le reconnaître…
Ils se marieront (peut-être) et auront deux enfants (un garçon et une fille). Ils seront heureux (autant parier sur le futur !) et resteront ensemble le temps d’un soupir, à peine plus long que sept minutes.
Ou peut-être un peu plus. Ou alors beaucoup plus… Ou alors, qui sait ? jusqu’à l’éternité suivante…