S'exercer à mourir
Chaque matin, encore ensommeillée dans mon lit,
empêtrée dans le cocon de la couette, dans le chaud de mes rêves, je
pense que je vais peut-être mourir aujourd'hui. Chaque matin, c'est la
même chose... et chaque matin, c'est beaucoup de fois dans une vie, pour
peu, ça deviendrait une idée fixe...
C'est une idée fixe. Je pense à mourir et je m'exerce...
Etendue dans mon lit, je joue à être morte.
Je bouge plus, je respire plus, je suis morte. Point à la ligne. Et quand on est morte, on n'est plus vivante...héhé
Parfois
c'est amusant, je veux dire que c'est le soulagement total, ne plus
lutter, et tout ça...le blanc paradis du néant, de la non-pensée, de la
non-action, du non-sentiment
Parfois mon cœur rouspète, il se
réveille d'un bond d'un seul: NON! je ne veux pas mourir, ni
aujourd'hui ni demain, ni jamais. D'ailleurs mourir c'est pour les
autres, d'accord? D'ailleurs je suis immortelle, d'accord?
Non pas
d'accord, je n'arrive pas à me convaincre, et je replonge un instant
dans ma pièce de théâtre de paccotille, dont l'entrée est libre pour
moi toute seule.
Je suis donc étendue. Je bouge pas d'un millimètre,
ma peau a cessé de frissonner, le sang a commencé sa grève, mes doigts
sont rigides et tout le reste aussi, je m'applique à ne plus respirer
Je suis devenue très douée en apnée, à force...
J'imagine
l'homme de moi qui me regarde, (oups je suis sans doute pas très belle à voir
dans ma parure de morte. Peut-être que je commence à sentir, flûte
alors, j'aime pas penser à ça.)
J'imagine mes enfants qui sont là près
de moi, certains qui n'osent pas me toucher de peur d'être contaminés
par le froid. Est-ce contagieux la mort?
Puis je m'imagine plus rien du tout
Parce qu'il est temps de se lever, d'ailleurs je dois faire pipi.
Si je mourrais maintenant, il y a beaucoup trop de désordre dans mes tiroirs, dans mon PC...dans ma vie
Tu entends, cher Dieu? Ce n'est pas encore le moment hein!
Laisse-moi tranquille, veux-tu?