Elle se lève chaque matin une minute avant moi
Avant de me mettre au travail le matin, j'ouvre au hasard un des petits livres que j'aime et qui attendent que je leur donne vie par ma lecture attentive.
Ou plutôt, c'est eux qui attendent de me donner un peu de vie, par la phrase qu'ils s'apprêtent à me donner.
Ce matin j'ai ouvert au hasard "Mozart et la pluie" de Christian Bobin
Et voilà la phrase qui me nourrit.
"La mélancolie se lève chaque matin une minute avant moi. Elle est comme quelqu'un qui me fait de l'ombre, debout entre le jour et moi. Je dois pour m'éveiller la repousser sans ménagement.
La mélancolie aime la mort, d'amour profond. Cela fait des années que je lutte avec ces profondeurs, que je m'efforce de limiter leur influence, sans y parvenir toujours. Seule la légèreté de la vie peut chasser l'insondable mélancolie. La légèreté m'est toujours venue de l'amour. Pas du sentiment, de l'amour. J'ai mis longtemps avant de voir ce qui séparait l'amour du sentiment: presque rien, un abîme.
Le sentiment est du côté de la mélancolie. Il y tombe à coup sûr, tôt ou tard. Le sentiment et la mélancolie naissent d'une préférence de soi pour soi, d'une complaisance - exaltée ou effondrée - de soi pour soi. Le sentiment comme la mélancolie sont insondables, pleins de recoins et de remous.
Le sentiment comme la mélancolie adhère, attache, fusionne.
L'amour coupe, tranche, détache. Par le sentiment, je suis englué en moi-même. Par l'amour, j'en suis détaché, arraché..."