2. Les mots libérés
Il y a dix ans environ, je me trouve embrigadée dans un WE d’écriture. Par hasard.
Je ne sais pas ce que c’est un atelier d’écriture, ni comment ça fonctionne. Je sais juste que je vais devoir écrire. Un désistement de dernière minute d'un participant et hop je me retrouve embarquée dans ce train pour l’inconnu. Avec la peur au ventre. Mais qu’est-ce que je vais aller faire là ? Et si j’avais l’angoisse de la page blanche ? Et si ma page restait effectivement blanche ? Et si j’écrivais des trucs rikiki ?? Et si on allait me regarder avec commisération en entendant mes maigres mots, ceux qui finiraient par sortir de mon stylo rouillé ?
Quelques personnes comme moi, surtout des femmes, sont déjà là, des habituées, elles sont excitées, elles aiment ça . Elles se réjouissent de ce WE de liberté et de créativité. Deux jours entiers rien que pour elles, sans mari, sans enfants, sans maison… c’est fou ce que les femmes ont ce besoin de liberté en dehors du temps, en dehors de leur temps ordinaire…
Moi, intimidée, je cherche ma place, j’ai peur, je suis à deux doigts de partir, de reprendre la route vers mon univers de femme extraordinaire qui élève au jour le jour cinq enfants, qui tient son ménage le mieux possible et tente de gérer son mal-être.
Mais je reste. C’est une des décisions les plus importantes de ma vie.
Je reste et j’écris dans mon fameux cahier rouge qui patiente depuis si longtemps dans un petit tiroir de ma table de nuit. J’écris sur base des consignes proposées.
Alors…. Mon stylo se démène, la page ne reste pas longtemps blanche dans mon cahier rouge. Elle se noircit, vite, les mots se bousculent, font des embardées, sautillent et bondissent de ligne en ligne. Il se passe quelque chose d’incroyable, je sens que je me recentre. D’autant que quand vient le moment de la lecture, j’entends l’écoute que les autres m’offrent : extraordinaire écoute pour moi, car c’est moi d’habitude qui suis celle qui écoute à longueur de jour et de nuit les mots des autres, de l’homme, des enfants, de mes amis, de mes voisins, mais qui m’a jamais écoutée moi ? Comme ça, gratuitement ?
L’écoute est palpable, c’est comme un massage bienfaisant sur toutes mes raideurs enfouies et inexprimées. Mais ce qui est le plus étonnant, c’est que je m’écoute moi-même, et j’entends des mots qui sont…comment dire…des mots qui me plaisent voilà : ils sont musicaux même quand ils crient des rébellions. Fluides même quand ils parlent de détresses… mes mots sont là et bien là ! Je les ai soudain retrouvés, comme de précieux trésors oubliés, desséchés…mais toujours vivants, en train de renaître de leur nuit de grand et profond coma. Le choc est frontal, un peu brutal, je suis sonnée, je suis dans les vap, mais je suis étrangement recentrée…
C’est un des jours les plus importants de ma vie : je suis repartie de là, encrée en moi-même. Je tenais le fil de la pelote serrée qui étouffait dans ma gorge depuis si longtemps et j’ai commencé à le tirer, doucement, avec un infini respect