Monsieur, dis-je, je suis avant vous...!
Dans la grande surface de mon quartier. Il est trois heures...
J'attends tranquillement dans la queue qui serpente calmement jusqu'aux caisses. Je rêve un peu pour passer le temps, je regarde les gens. J'aime bien ça, observer et imaginer par la même occasion. C'est le moment où je me raconte des histoires. Étranges ou ordinaires. Des histoires qui ressembleraient à la mienne, ou peut-être pas. J'attends, c'est bientôt mon tour. Voilà! C'est mon tour.
Soudain...
Un goujat surgi d'on ne sait où, plutôt bel homme mais ça à cet instant précis je m'en fous, me dépasse et s'impose à la caisse, comme ça, avec l'air hautain et suffisant des goujats.
Colère pointue comme la lame d'un couteau. Comme un océan furieux à l'assaut de mes entrailles. Comme une stridence qui explose dans mon ventre. Çà alors, non mais ça alors...!
La colère est une affaire de ventre, de viscères, d'entrailles. Rouge feu ou noir sang. Évidemment. Pas une affaire de petites fleurs jaunes piquées tendrement dans des promesses d'herbe tendre. Évidemment.
Moi la tranquille, la sage, aussi effacée (enfin presque!) que la lune un soir de nuages opaques, je ressens soudain la colère inonder mon ventre. Pour rien du tout. Pour peu de choses dirons-nous. Juste un goujat qui me dépasse sciemment dans une file trop longue. L'air de rien.
J'ai réagi poliment...il s'est moqué de moi, et est resté bien planté là à continuer de faire enregistrer ses achats. Je ne suis pas parvenue à le déraciner. La colère s'est teintée d'humiliation
Franchement, je n'ai su que faire de cette colère qui m'a laissée tremblante un long moment. J'aurais bien voulu l'emballer et la jeter dans la première poubelle venue. Je l'aurais bien frappé ce type...
Je ne comprends pas comment j'ai pu me laisser toucher à ce point par un fait somme toute insignifiant, quelle corde sensible cela a réveillé en moi...
Peinture de Léon Spilliaert, peintre belge