"Je est un autre" disait-il
Quatre jours à Paris
Quatre jours en compagnie (principalement) de Valclair, qui malgré sa jambe encore un peu douloureuse qui lui imposait d’utiliser une béquille, m’a conduite dans divers coins de son Paris.
J’ai aimé. Beaucoup. Les promenades, les découvertes de toutes sortes (et pas forcément très connues des touristes), les deux expos, les cinémas, les discussions passionnées et passionnantes qui nous ont tenus des heures à table, autour d’une bonne bouteille de vin.
Lisez la note qu’il a écrite encore hier soir à ce sujet avant de repartir en vacances pour quelques jours. Vous saurez( presque) tout.
Je voudrais revenir sur l’expo de Cindy Cherman que nous avons visitée au Jeu de Paume.
Cindy Cherman met en scène un personnage unique, photographié de mille et une façons : elle-même. Méconnaissable, même si un bout de nez, ou un coin de sourire nous ramène de photo en photo à quelque chose de vaguement familier.
L’art de se déguiser, de se métamorphoser (par le maquillage, les perruques et les costumes) en personnages si différents qu’ils n’ont entre eux rien de commun. La femme fatale côtoie le petite fille sage, la ménagère que les années ont épaissie, l’étudiante libertine, la putain, la femme d’affaires, la demeurée, l’artiste et bien d’autres encore…
On s’est posé la question, Valclair et moi de savoir si toutes ces photos étalées sur trente ans relevaient de la démarche de l’autobiographie (telle que la conçoit l’APA), ou même du « journal intime » en ligne : parler de soi tout en se « protégeant » par un certain anonymat. Bien malin qui peut reconnaître l’artiste sous son déguisement de clown par exemple
Est-ce une façon de parler d’elle-même ce qu’elle fait là, puisque le seul personnage mis en scène est elle, rien qu’elle (aucun autre personnage n’apparaît sur les photos) ?
Ou est-ce une sorte de jeu, quelque chose qui relève du défi : "Je est un autre" disait Rimbaud
Cindy Cherman est mille autres, de la poupée objet sexuel, au personnage des contes d’horreur, remplis de sang et de frayeur, du clown triste au personnage falot d’un tableau de la renaissance…
Et les questions me sont venues
Celle que je suis est-elle celle que je crois être, celle que je voudrais être, celle que je montre, celle que les autres croient connaître ou reconnaître, celle qu’on a étiquetée une fois pour toutes ? Celle que je suis est-elle reconnaissable en dessous de ses déguisements bien ajustés selon les milieux qu’elle fréquente ?
Qu’a donc de commun la mère de famille nombreuse avec celle qui tape en solitaire les mots sur son clavier, parfois jusque tard dans la nuit ?
Qu’à donc de commun celle qui écoute tel ou tel de ses enfants dans un moment de crise, et celle qui traverse elle-même un moment de crise qu’aucun de ses enfants ne soupçonne ?
Il y a celle qui parle à X, différente de celle qui échange avec Y. Il y a celle qui rit comme une folle dans une réunion amicale et celle qui insomnie la nuit à force de ruminer des pensées moroses…
Si moi je reste bien souvent une énigme pour moi-même, qui peut prétendre me connaître vraiment telle que je suis ? Si bien souvent je ne m’aime pas, comment espérer que quelqu’un puisse aimer la personne-mystère que je reste ?