Une odeur d'amour empoussiéré
C’est au bout du monde. Là-bas, tout en haut. Trois volées d’escaliers en bois qui craquent. Alors là, ça fait tant de bruit que cela ne passe pas inaperçu !
Ce n’est pas grave : aujourd’hui on est seule dans la maison.
On quitte les odeurs chaudes et familières d’en bas. On monte et ça devient froid et mystérieux. Alors on hésite un peu. On n’aime pas quand c’est froid. On a un peu peur du mystérieux.
Mais on continue. Les escaliers rouspètent de plus en plus.
Là, la porte. Et sur la porte une grosse clé. On la tourne, ce n’est pas facile, mais on y arrive. Et d’un seul coup, ça vous souffle à la figure une haleine de moisi, une odeur de renfermé, d’abandon, de vieux sommeil.
Qui donc habite ici depuis si longtemps sans voir le jour, sans respirer le soleil ?
Une tabatière bancale tachée de peinture noire, occulte la lumière. Ça sent des kilos d’obscurité. Ça sent des tonnes de poussière.
Justement sur ce meuble là, on déplace prudemment une tonne de poussière du bout d’un doigt prudent. On tousse. Une quinte qui ne s’arrête pas.
On a envie de s’asseoir sur le lit aux armatures en fer, de s’enfoncer dans l’édredon de dentelle, figé par le temps. Mais on sait bien que c’est risqué, que les ressorts du matelas mordent les fesses. D’ailleurs on n’est pas venu pour dormir. On est venu pour réfléchir. Et aussi pour rêver…
Rêver devant le tableau qui sourit depuis des siècles sur le mur de cette petite chambre mansardée. On s’approche doucement, pour ne pas effrayer les beaux yeux qui regardent fixement. C’est amusant, quand on se déplace à gauche, à droite, les yeux suivent à gauche, à droite.
On s’approche doucement et on caresse la joue de la belle Dame. Puis on regarde, et cela fait comme des petits picotements dans la poitrine. Alors on respire très fort pour reprendre son souffle. Puis, on approche les lèvres du tableau. La joue de la belle Dame a une odeur de grand mère…une odeur d’amour empoussiéré.