Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Coumarine, Petites paroles inutiles
28 août 2005

De l'autre côté du miroir

Je suis super heureuse de vous présenter ce soir mon quatrième invité: Pitch Trim

Le titre de son blog "Décrochage" ainsi que son pseudo qui au début, m'avait fort intriguée, sont des mots de l'aviation

Pitch est quelqu'un qui va jusque bout de ses rêves...vous le verrez en le lisant

Mais il a bien d'autres rêves encore...des aventureux et des tendres...des graves et des plus légers...

Merci ami Pitch d'avoir accepté de venir chez moi

Voilà nous sommes confortablement installés ...prêts à écouter ta belle histoire...

vue_a_rienne

Il y a bien longtemps, un vieux bonhomme avec de petites lunettes cerclées de fer et un appareil auditif s’évertuait à essayer de nous faire intégrer la troisième dimension. Sur son tableau, craie à la main, il tentait de représenter un point dans l’espace, point doté de trois coordonnées x, y et z. Déjà que représenter une courbe grâce à une équation à deux inconnues relevait de l’exploit, alors représenter l’espace sur un tableau noir...

Devant nos regards stériles, il s’énervait de vouloir nous faire approcher cette merveille, ce Nirvana mathématique : la projection dans un espace de dimension supérieure. Pauvre petit bonhomme, à combien de centaines de gosses as-tu présenté avec la même exaltation cet espace que toi seul semblait voir ?

Aujourd’hui, je me trouve souvent dans la même problématique que mon pauvre professeur de mathématiques. Souvent, on me demande « mais qu’est ce que tu recherches en volant ? ». Parfois la question est assortie d’un commentaire : « déjà que j’ai peur dans un avion de ligne... ». Vous aurez remarqué la perversité de cette dernière remarque, sous entendant que dans un vrai avion, avec des vrais pilotes, il y a de quoi avoir les jetons, alors dans un truc en bois et en toile avec un pilotaillon du dimanche aux commandes... (oui, beaucoup d’avions d’aéroclubs sont toujours en bois et toile, remarquables matériaux composites !).

Comme ce bon vieux prof, me voila aujourd’hui en train de tenter d’écrire ce que je ressens aux commandes du petit avion que me prête bien gentiment mon aéroclub contre espèces sonnantes et trébuchantes. Comme ce brave homme, me voila obligé de déployer des trésors d’imagination pour vous faire entendre que non, je ne suis pas complètement frapadingue, et que si je claque une partie non négligeable de ma paie pour m’asseoir dans un truc en bois exigu, propulsé par un moulin à légumes géant dans un tintamarre de fin du monde, c’est qu’il doit y avoir une contrepartie...

Elle tient en une seconde, en un mot magique : « rotation ! », qu’annonce l’instructeur à mes cotés. Je ramène le manche en arrière, petit flottement et hop ! C’est là que ça se produit. Là, cet instant magique, cet instant où on quitte un monde pour un autre, cet instant où l’on change de lois, de référentiel. Alice qui traverse son miroir, le bipède qui se met à voler...

A partir de là, rien n’est plus pareil. Notre tapis volant en cellulose est posé sur une masse instable et capricieuse : l’air. Gaz très présent un peu partout autour de nous, mais dont une caractéristique essentielle est qu’il est transparent et donc se meut de manière invisible, de sa propre initiative, imprévisible et chaotique. Sur terre on appelle ça le vent. En l’air, c’est autre chose : c’est lui qui nous porte, c’est lui qui nous accueille après le mot magique. C’est avec lui qu’il faut jouer, c’est lui qu’il faut courtiser, évaluer, parfois contrer.

Là, à quelques mètres au dessus du rectangle de bitume que l’on vient de quitter, après avoir vérifié que le tapis volant est en forme, on pénètre vraiment dans la troisième dimension. Cette fameuse troisième dimension que mon pauvre prof a tant espéré nous faire visiter à grand coup d’équations. Car, au regret de vous décevoir, ici bas, sur terre, nous ne connaissons réellement que deux dimensions. Tenez par exemple. Près de chez moi, à ma campagne, il y a le château de la belle au bois dormant. Si ce n’est pas lui, c’en est une réplique. Une partie fortifiée, remaniée au XIVème, puis augmentée et modifiée de siècle en siècle. Bref, une merveille. Interdite à la visite. Les douves : infranchissables. Derrière ? De hauts murs. Des gardiens, des alarmes. Des personnes très bien renseignées nous ont certifié qu’une grande partie était en ruine, les jardins à l’abandon. Quel gâchis. Allez donc savoir...

Moi je sais, je suis passé au dessus... Mais je ne vous dirai rien, j’aime trop les légendes....

Or donc, nous autres, êtres tridimensionnels dans un monde tridimensionnel, sommes incapables de visiter notre monde au delà des deux mètres qui s’étendent de nos pieds à notre tête pour les plus grands d’entre nous ? Alors qu’au dessus de nos têtes s’accumulent des kilomètres de bon air pur et joueur ?

Bien entendu, vous pouvez grimper sur un tabouret, appeler votre architecte préféré qui vous construira une tour de 273 étages du haut de laquelle vous verrez Montmartre ou autre chose.

Mais pas les jardins de la belle au bois dormant.

Ou alors, vous ne verrez plus Montmartre.

Il faut choisir.

Et c’est donc bien dans un autre monde que nous propulse le mot magique. Rotation, comme abracadabra, change tout. Au sol, ce sont les pieds qui dirigent l’avion. Abracadabra ! Ce sont les mains qui font maintenant l’essentiel du boulot. Passage magique du roulant au volant, et son opposé après l’atterrissage. Au sol l’avion est imposant. Abracadabra ! Il n’est plus qu’un confetti qui va chatouiller les nuages, plume perdue dans l’immensité du ciel.

Là haut un champ devient timbre poste, une autoroute ruban de couture, un fleuve calligraphie.

Si vous m’avez lu jusqu’ici, je peux me permettre de vous demander quelque chose. Levez donc les yeux quelques instants de ce texte, et regardez autour de vous. A quelle distance se trouve votre horizon ? A moins que vous ne soyez dans le cockpit d’un avion ou éventuellement au sommet d’une montagne ou encore au milieu de l’océan, essayez d’imaginer l’immensité qui vous entourerait sans tous ces obstacles à votre vue.

Imaginez que vous puissiez vous déplacer en ligne droite, sans rien pour vous masquer la vue, sans barrières, sans limites à votre déplacement. En totale liberté.

.../...

Samedi matin la météo était belle. De grands espaces bleus trouaient la ouate des cumulus. Nous sommes partis pour un vol tranquille. Un peu de maniabilité au programme, température sympa, petit vent léger. Tenue d’axe impeccable, rotation, on embarque un peu à gauche, je sens ma nuque se hérisser de plaisir, je redresse, on monte. Virage à 90 degrés, on sort du circuit. J’ai de la chance aujourd’hui. C’est la première fois que la météo est aussi sympa avec moi. Entre les plafonds bas ou les températures de folie des semaines passées, c’est extrêmement agréable. L’avion monte doucettement, vers la base des nuages, et nous révisons les mises en virages. « Tiens, on va faire un 90° par la droite et stabiliser à 4.500 pieds » me dit mon instructeur. Nous sommes à 3.500 pieds, avec les nuages comme plafond cotonneux, presque à portée de main. Je vire, et devant moi s’ouvre une tranchée de ciel bleu.

Mon tapis volant grimpe doucement vers cet îlot de bleu au milieu de la mer blanche. La tranchée a la forme d’un triangle aigu et je l’aborde par le sommet. Bientôt, autour de moi, des falaises blanches et floconneuses délimitent mon terrain de jeu. Au dessus, le bleu du ciel, au dessous, le damier des prés, autour, les volutes laiteux des cumulus. Ce petit trou de bleu fait plusieurs kilomètres de long. Les falaises des centaines de mètres de haut. L’avion est minuscule, je suis un grain de poussière dans ce ciel, un grain de poussière sur cette planète.

Après avoir évolué dans ce paysage magique, nous redescendons sur terre. Les roues touchent le sol, et du manche je tente de conserver l’avion sur l’axe de la piste. « Les pieds Pitch, les pieds ! Au sol ce sont les pieds qui dirigent... »

(La photo est de Pitch, prise par sa femme lors de son premier vol)

Publicité
Commentaires
N
Bonsoir à Pitch et à tous ceux qui ont écrit un commentaire dans cette rubrique. Je ne sais pas qui vous êtes, quel âge vous avez et d'où vous êtes mais ce n'est pas important !<br /> Bravo à Pitch pour son commentaire que j'ai ADORE. Et comme je le comprends... <br /> J'ai 57 ans et je viens de faire mon baptême de l'air d'ULM multiaxe(après avoir pris des centaines de fois des avions de ligne !) mais rien à voir !!! n'est-ce pas Pitch ?<br /> Alors, je voulais dire à tous ceux qui ont peur de "franchir le pas" si j'ose m'exprimer ainsi, ALLEZ-Y : c'est GENIAL !!!<br /> Voir mon témoignage sur mon website en cours de création : http://www.tourisme-en-poitou.net/<br /> Bravo pour ce site !<br /> Amitiés d'un petit coin de France
N
Pitch,<br /> c'est une bouffée de liberté que tu nous offres, avec en plus, l'envie de réaliser cette envie de voler, hors d'un avion de ligne. J'ai manqué cette occasion, il va peut-être falloir que je téléphone à un vieil ami pour essayer de le réaliser.<br /> La quatrième dimension, le temps<br /> La cinquième dimension, la liberté...?
S
Vu d'avion chantait Delpech, ce texte est très sympa !<br /> Merci et bonne journée !
C
T'entends Pitch? on est là hein! on veut toutes voler maintenant...c'est ta faute, t'avais qu'à pas nous en parler comme çà!!
M
Ouiiiii ! j'ai vu que Sidonie est née ! enfin ! que d'émotion !!! <br /> <br /> Pitch, il va falloir que tu apprennes à piloter un gros navion parce qu'on veut tous s'envoler maintenant !!
Coumarine, Petites paroles inutiles
Publicité
Archives
Publicité